Dr. Joseph Dieuboue : « Tous les textes régissant la médecine du travail au Cameroun sont obsolètes »

Il s’est tenu ce 24 avril 2014 au Gicam à Douala, la 4^e journée de prévention de la Société Camerounaise de Sécurité et Santé au Travail (SCSST). C’était en prélude à la 18^e journée africaine de la prévention des risques professionnels et de la 14^e journée mondiale de la santé et sécurité au travail. Le président de la SCSST revient, dans cet échange, sur l’importance de la sécurité et de la santé au travail.

En quoi consistait cet atelier d’un jour ?

Le mois d’avril, comme vous le savez, est très riche en matière d’activités liées à la sécurité au travail. Nous avons plusieurs journées internationales à savoir : la journée des rapports sans frontière (le 14 avril), la journée mondiale de la santé et sécurité au travail (le 28 avril), la journée africaine de la prévention des risques professionnels JAPF (le 30 avril). Nous avons pensé qu’il était important, pour que notre société avance, de regrouper les autres médecins et professionnels de la santé et sécurité au travail pour partager avec eux, les préoccupations relatives aux différents thèmes desdites journées, d’échanger sur les expériences quotidiennes des uns et des autres au sein de leur entreprise pour qu’avant la date de la célébration, afin de pouvoir contribuer à la commémoration qui aura lieu le 28 avril à Yaoundé.

Qui est concerné par la sécurité et la santé au travail ?

La sécurité et la santé au travail, tout comme la prévention en général, est une affaire de tous. C'est-à-dire : de l’employeur qui est le propriétaire de l’entreprise, c’est lui qui a créé le travail qui génère le risque. C’est l’affaire du travailleur puisque c’est lui qui court les risques et qui est la victime des risques. C’est aussi l’affaire du professionnels de la santé et de la sécurité au travail (médecin du travail, l’infirmier du travail, le technicien de sécurité, l’ingénieur de sécurité, l’hygiéniste du travail, le psychologue du travail, le toxicologue du travail…). C’est donc une affaire multidisciplinaire.

Revenons à ce qui nous concerne à savoir le médecin du travail. Quel est son véritable rôle au sein de l’entreprise ?

Si je comprends bien, votre question fait référence à la mission du médecin du travail au sein de l’entreprise. Cette mission tourne autour des points principaux suivants : Premièrement, c’est le médecin, le conseiller de l’employeur et de l’employé en ce qui concerne la santé et la sécurité des employés au sein de l’entreprise. A travers cette mission de conseil, il lui revient donc de proposer aux deux parties, tout ce qu’il y a lieu de mettre en place pour préserver la sécurité et la santé du travailleur et de proposer au travailleur tout ce qui a lieu de faire, par lui-même, pour protéger sa santé sur le lieu du travail. Derrière cette mission de conseil, on peut voir plusieurs autres groupes de mission notamment la surveillance des lieux de travail qui renvoie à toutes les actions que le médecin doit mener sur les lieux de travail pour identifier les facteurs qui peuvent constituer un risque pour les travailleurs. Deuxièmement, il y a la surveillance de la santé du travailleur c'est-à-dire tout ce que le médecin peut faire sur la santé du travailleur pour vérifier s’il est déjà porteur des effets des risques qu’il court sur les lieux du travail. Troisièmement, c’est la promotion de la sécurité et l’amélioration des conditions de travail. C’est tout ce qui est fait dans le cadre de la promotion, de la formation, de la sensibilisation, des comités d’hygiène et de sécurité… quatrièmement, on a la promotion des groupes de santé publique. Vous savez que le travailleur sur le lieu du travail vit avec ce qu’il amène de chez lui. Le paludisme par exemple, ce n’est pas le travail qui donne, mais si tous les travailleurs d’une entreprise souffrent tous du paludisme, ils ne peuvent pas travailler. Aujourd’hui, on fait du Vih/Sida une préoccupation majeure dans le monde du travail pourtant ce n’est pas le travail qui donne cette maladie. Tout ceci est fait pour éviter qu’il n’altère la capacité de production de l’entreprise. Le dernier point concerne tout ce qui concerne les activités administratives.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés généralement ces médecins du travail au sein de l’entreprise ? Et au sein de la SCSST, que faites-vous pour l’améliorer ?

Ces difficultés sont nombreuses. La première est la connaissance de la règlementation de la médecine du travail par l’employeur. L’employeur qui recrute le médecin du travail le fait souvent sans connaître pourquoi il le fait. Il l’emploie tout simplement parce qu’on lui a dit qu’il te faut un médecin. Si vous employez quelqu’un sans connaître ses missions et autre, c’est déjà un obstacle. Les travailleurs eux même pas souvent quel est le rôle du médecin. Chaque travailleur sait, dans sa tête, ce qu’il attend du médecin sans savoir exactement ce qui est prescrit comme travail du médecin. Ensuite, on a les moyens mis à la disposition du médecin pour mener à bien sa mission. Dans beaucoup d’entreprises, il n’y a rien. L’autre difficulté rencontrée est spécifique à notre pays.  Car, il y a de cela plus de 20 ans, les textes qui régissent la médecine du travail au Cameroun n’ont pas été revues. Les textes que nous utilisons dans la profession datent, pour le plus récent, de l’année 1984. Je parle de l’arrêté 039. Depuis cette année là, même les conditions du travail ont changé. Beaucoup de choses ont évolué. Les textes sont obsolètes alors que la médecine du travail est un métier essentiellement normatif.

S’agissant des moyens entrepris pour lever ces obstacles, on a axé le premier élément de notre action sur la formation. Il faut former, discuter et échanger avec les médecins afin que les difficultés des uns servent de leçons pour les autres en attendant que tout ceci soit résolu. Il faut aussi sensibiliser l’employeur. Nos actions prennent quatre directions : 1- Nous agissons sur nos membres à travers la sensibilisation et la formation pour adopter une plateforme de travail, nous élaborons des outils et des standards d’exercice à nos confrères. 2- Nous agissons en direction de l’employeur par une sensibilisation. Lors de nos différentes activités, nous invitons toujours les employeurs afin qu’ils comprennent les enjeux de la médecine du travail. 3- Nous travaillons avec les travailleurs et leurs organisations. Aujourd’hui, nous avons géré la préoccupation relative à l’éducation ouvrière. Nous voulons implémenter cette éducation afin que les ouvriers comprennent ce qu’on peut faire pour eux. 4- L’appui à l’autorité (le ministère du Travail et de la sécurité sociale et tous les autres ministères désireux) afin de mettre en place les standards qui vont améliorer les conditions de travail. Est-ce que ces demandes sont vraiment prises en compte ? C’est un processus sur lequel nous travaillons progressivement. Les choses avancent mais nous ne sommes pas encore arrivés au point où nous souhaitons. C’est un combat permanent.

Propos recueillis par :

Frank William BATCHOU